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Les autres malades autour de lui étaient immobiles, comme des momies dans leurs sarcophages de fils et de sondes. Leurs regards étaient perdus dans le vague, mais Jean-Louis savait qu’ils le jalousaient car le docteur Fincher venait le voir régulièrement et qu’il possédait un ordinateur, Internet, le pouvoir de s’exprimer.
Le malade du LIS ne ressentait pas de rancœur envers ses voisins, il les plaignait plus qu’autre chose. Il se disait que, dès qu’il serait suffisamment fort, il leur donnerait à eux aussi un moyen de s’exprimer. C’était là le sens de son combat : que plus personne ne souffre autant que lui-même avait souffert.
Il alluma avec son esprit l’écran d’ordinateur et, tel Superman changeant de costume dans une cabine téléphonique, le LIS se transforma en U-lis, navigateur sur Internet.
Son esprit furetait, galopait, s’arrêtait, discutait, observait l’immense toile mondiale tissée par les millions d’internautes.
Chose extraordinaire : plus il s’ouvrait au monde, plus il s’oubliait. Par moments, quand sa pensée était trop occupée à explorer la masse de savoir accumulée par tous les humains, il en arrivait même à oublier sa maladie. Il n’était que pure pensée. Athéna, logiciel informatique et bienfaitrice minérale, le renvoyait d’article en article, de site en site. Elle se montrait une parfaite aide à penser.
Une ombre sur l’écran. Un visage face à son visage. Samuel Fincher se penchait sur lui. Devant ses yeux s’étalait une thèse de doctorat sur des recherches de pointe en neurologie : les greffes de cellules souches issues de fœtus surnuméraires. Athéna y avait déjà souligné quelques passages qu’elle considérait comme déterminants.
— Bravo !
« Ce n’est pas que moi, c’est aussi Athéna. »
— Athéna est un logiciel mais ce n’est qu’un logiciel.
« Les ordinateurs évoluent vite. Ils sont désormais des bébés impatients. »
— Jolie formule.
« Non, c’est la vérité, ils veulent accéder au niveau au-dessus, c’est ce qui les motive. Ils veulent marcher. Ils veulent parler. Ils veulent grandir. J’utilise Athéna. Mais Athéna m’utilise aussi. C’est une déesse enfant. Elle veut, grâce à moi, s’émanciper, je le sens. C’est pourquoi elle est si motivée pour m’aider. »
Jean-Louis Martin fouilla longtemps tous les sites s’intéressant au cerveau et aux dernières découvertes dans le domaine du système nerveux. Mais il s’aperçut vite qu’en dehors des nouveaux systèmes d’imagerie (spectrographie infrarouge, tomodensitométrie par ordinateur, imagerie par résonance magnétique nucléaire, tomographie par caméra à positrons) la neurologie progressait lentement. Les greffes de neurones de fœtus apportaient beaucoup d’espoir mais elles ne donneraient des résultats au mieux que dans cinq ans. On découvrait chaque jour de nouvelles hormones sans application pratique.
En fait, c’était peut-être l’informatique qui apportait le plus de connaissances sur les mécanismes du cerveau humain. Martin s’aperçut que, chaque fois qu’on découvrait une machine, on analysait le cerveau sur ce modèle.
Lorsque l’homme découvrit l’horloge, il compara le cerveau à une horloge. Lorsqu’il découvrit le moteur à vapeur, il compara le cerveau à un moteur. Quand il découvrit les premières machines à calculer, il analysa le cerveau à la manière d’une calculatrice. Quand il découvrit l’holographie, il compara la mémoire à une image holographique. Puis vinrent les ordinateurs. A chaque génération de puces plus perfectionnées correspondaient des programmes plus intelligents capables d’exploiter cette puissance de calcul.
Athéna se tut durant cette prise de conscience mais il savait qu’elle partageait son point de vue. Pour elle, il n’y avait pas de doute.
« L’ordinateur est l’avenir du cerveau humain. »